30/06/017 Décès de Simone Veil

Comme beaucoup de personnes de mon âge j’ai connu Simone Veil lorsqu’elle  a défendu la loi sur l’interruption volontaire de grossesse.  Comme beaucoup j’avais admiré son courage , sans mesurer vraiment la capacité de résistance dont elle avait dû faire preuve , face notamment à des politiques misogynes, dont la violence verbale ne devait sans doute rien à la  défense de la grandeur de la France ! Elle ne prétendait pas être une icône du féminisme , mais sa détermination a fait beaucoup plus pour la condition des femmes que bien des bavardages   plus ou moins ésotériques de certains courants féministes.

Je viens de relire quelques pages du livre qu’elle a intitulé « Une vie » , titre qu’elle a , comme elle le signale, emprunté à un roman de Maupassant , un de ses auteurs préférés.  Quand je l’ai lu, à sa sortie, il ne m’avait pas vraiment touché. C’était  le livre d’une femme qui disait les choses simplement, sans emphase, sans lyrisme, alors que l’on aurait pu penser que le souvenir de ses épouvantables et douloureuses expériences auraient pu la conduire à   essayer de mieux les faire partager à ses lecteurs. J’avais été marqué par la violence de son jugement sur Bayrou ( au demeurant si vrai!).  Les quelques pages que je viens de relire ( le chapitre « Revivre » et surtout la fin)  me conduisent à revenir un peu sur cette impression  première.  Je n’avais pas mesuré à quel point les derniers paragraphes sont émouvants et en même temps révèlent une capacité extraordinaire à trouver un équilibre entre passé, présent, futur, à maîtriser sans les étouffer, ses sentiments:

« Le soir, quand je rentre, il m’arrive de m’allonger quelques instants sur mon lit et d’admirer le dôme des Invalides.C’est un rare privilège. Au loin, j’entends Antoine jouer du piano. Il pratique la musique régulièrement, comme aimait à le faire notre fils disparu; celui-ci était même parvenu à une réelle maîtrise. mon beau-père jouait beaucoup et composait.

Peu à peu, la nuit envahit la maison.  Au son du piano, mon regard se perd face à mes tableaux familiers tandis qu’à nos côtés , tous ces morts qui nous furent si chers , connus et inconnus, se tiennent en silence. Je sais que nous n’en aurons jamais fini avec eux. Ils nous accompagnent où que nous allions, formant une immense chaîne qui les relie à nous autres, les rescapés.

Pourtant mes pensées se portent irrésistiblement vers ma famille, celle que j’ai construite avec Antoine. Je songe à nos enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, à nos déjeuners du samedi auxquels grands et petits manquaient peu et auxquels ont succédé les dîners du dimanche soir, à l’affection qui nous lie les uns aux autres et qui me rappelle celle qui nourrissait les Jacob. A la fin de la semaine, nous serons vingt-sept, réunis pour fêter mon anniversaire »

Les souvenirs douloureux  n’empêchent  pas de vivre pleinement le présent et de penser au futur. Et je comprends comment , peu de temps après avoir fait l’épouvantable et indicible expérience des camps, elle se marie avec Antoine Veil  et fonde cette famille qui comptera tant pour elle. La vie, cette force mystérieuse en elle,  avait survécu au pire. Et sa vie a montré qu’elle n’avait jamais  complètement désespéré des humains .Que sa beauté ait pu toucher l’âme d’une gardienne du camp de Birkenau , brutale avec les détenues, ( elle sera pendue par les américains) lui permettant d’échapper et de faire échapper à la mort sa  mère et sa sœur a  dû parfois lui  éviter d’éprouver ce désespoir qui a amené d’autres rescapés à mettre fin à leurs jours. Du moins en fais-je l’hypothèse! Mais c’est  » ce désir de vivre » qui lui a sans aucun doute  évité  de désespérer et qu’elle a dû savoir nourrir, entretenir!