Un peu partout, dans le monde, des révoltes, des mouvements de protestation et de contestation qui jettent des milliers , voire des dizaines de milliers de personnes dans les rues, les rassemblent sur des places.
Dans une interview donnée au « Monde » du 9 novembre, à l’occasion de la sortie de son livre « L’hégémonie contestée » , B.Badie parle de « l’Acte II de la mondialisation » et propose trois « types d’éléments déclencheurs ,en partie liés:
« Le premier, c’est la petite goutte qui fait déborder le vase du malaise économique et social, comme l’augmentation du prix du ticket de métro à Santiago, l’impôt sur WhatsApp au Liban ou, en France , la taxe écologique sur les carburants, qui amorça la protestation des « gilets jaunes ». Le deuxième facteur est la résistance à des formes précises d’oppression , comme à Hongkong en réaction contre la tutelle exercée par Pékin. Un troisième type est le rejet des dirigeants incrustés au pouvoir , comme on le voit aujourd’hui à Alger où à La Paz. »
Intéressons-nous au premier qui est significatif d’une dégradation lente, inexorable des conditions de vie de millions de personnes.
A la suite de l’élection d’E.macron j’avais formulé le voeu qu’il s’occupât du quotidien des français .Le quotidien, c’est la vie de tous les jours, une vie faite de répétitions, routinière, peu héroïque, banale, si peu originale que la philosophie ne l’a que frôlée dans ce qu’elle appelle « le monde de la vie ».
Dans son livre « La découverte du quotidien » , B.Bégout en fait l’objet même de sa réflexion. La vie quotidienne y prend une importance inattendue. On se contentera de résumer la thèse de l’auteur.
« L’homme est dans le monde, mais il n’y est pas chez soi » écrit-il ( 278). Le monde est incertain, contingent, son existence même n’est en rien assurée., ce qui entraîne de l’inquiétude ( on lira avec intérêt la partie où l’auteur distingue inquiétude et angoisse). Cette inquiétude est toujours potentiellement présente , mais il travaille à la faire disparaître en se créant un univers familier.
Citons l’auteur : »nous nommons quotidianisation ce processus d’aménagement matériel du monde incertain en un milieu fréquentable , ce travail de dépassement de la misère originelle de notre condition par la création de formes de vie familières. C’est essentiellement cette force d’instaurer des espaces de vie immunisés, où l’expérience humaine se met à l’abri , derrière le mur invisible de la familiarité , de l’étrangeté silencieuse et glaciale de l’Apeiron ( pour ceux qui ignorent le grec : l’Illimité= note du lecteur pas de l’auteur). Quotidianiser , c’est donc assimiler jour après jour le monde hostile à travers tout un filtre de croyances et d’objets , de coutumes et de symboles qui donnent prise sur la réalité » (313)
Et un peu plus loin : »La finalité de la quotidianisation consiste donc à produire un monde certain sur lequel l’homme puisse se reposer en toute confiance , un monde qui suit son cours , et qui bannit toute possibilité de s’interroger sur l’origine et la genèse obscures de cette assurance finale « (313)
Le monde dans lequel nous vivons a rendu caduques tous les efforts de la quotidianisation. L’insécurité est permanente. On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait , comme on dit. Et cette situation n’est pas d’aujourd’hui: d’où la petite goutte qui fait déborder le vase. La corruption des élites et leur incapacité à améliorer le monde de chacun ( mais une grande capacité à améliorer leur propre situation…), leur indifférence à la souffrance quotidienne de millions de personnes, l’accroissement continu des inégalités etc.. tout conduit à nourrir les peurs , les angoisses, les frustrations. Faut-il s’étonner des violences de toute nature?
L’erreur serait de croire que les élites vont se réformer. Elles ont trop à gagner dans le maintien du statu quo.
Dans « Les enfants du vide' » R.Glucksman appelle à devenir citoyen. Nous reparlerons de ce livre , si criant de vérité. Il a pleinement raison. mais il ne sera jamais inutile à quiconque de relire « De la servitude volontaire » de La Boétie. Parce qu’il ne suffit pas d’accuser le monde entier sans s’interroger sur soi-même.
