Pour beaucoup la citoyenneté cosmopolite n’existe pas, il faudrait prendre ce terme comme une métaphore. Il n’y aurait de véritable citoyenneté que là où il y a « Etat » : le citoyen ne le serait que par son appartenance à un Etat, la citoyenneté serait un statut , conférant droits et devoirs.à celle ou celui qui appartient à un Etat Ce qui conduit à lier citoyenneté et nationalité. Or le cosmos n’est pas Etat , donc….
Or, on peut contester cette façon de voir. Petit retour historique sur la notion de citoyenneté :
« C’est la Cité grecque qui a inventé le « citoyen » comme membre de la communauté des citoyens libres et égaux » écrit D.Schnapper dans « Qu’es-ce que la citoyenneté » ? ( pg 12) et c’est Rome qui l’a défini non plus comme membre de la Cité mais comme sujet de droits , la citoyenneté perdant le caractère ethnique qu’elle avait en Grèce.
« La démocratie moderne a hérité de Rome la conception d’une citoyenneté désormais définie en termes de statut juridique , écrit-elle , et c’est précisément cette définition juridique qui fait que la citoyenneté est « ouverte » et qu’elle a « vocation universelle ».
C’est que « le droit a une dimension d’universalité » (pg 149)
La citoyenneté n’est pas une essence mais une histoire, elle évolue et elle varie d’un pays à l’autre; Ce qui la caractérise c’est qu’elle transforme les relations des êtres humains au pouvoir ( ils ne sont plus des sujets) et des êtres humains entre eux ( ils sont égaux en droits et en devoirs) Par ailleurs la citoyenneté est le principe de la légitimité politique.
Si la citoyenneté dans le sens moderne n’a pas aboli le lien qu’elle entretient avec la nationalité , ce lien n’est « ni logique ni nécessaire » écrit D.Schnapper ( 231).
Comment échapper à la définition restrictive de la citoyenneté qui fait du citoyen le membre d’une communauté de citoyens-entendons par là une communauté nationale-?
En considérant que la citoyenneté n’est pas un statut dépendant d’un Etat, mais ce qui fait d’un être humain un être humain, par le seul fait qu’il parle et peut agir avec d’autres pour le bien commun.C’est l’idée que développe Etienne TASSIN dans son dernier livre « Pourquoi agissons-nous? » , dans le prolongement des idées d’Hannah Arendt sur la politique et le droit d’avoir des droits.Nous nous contenterons momentanément de citer quelques passages de ce livre , nous proposant d’exposer postérieurement les idées développées dans ce livre et le précédent Un monde commun; Pour une cosmopolitqiue des conflits :
« Nulle identité confessionnelle, nulle identité ethnique , voire nulle identité nationale , n’est exigible au fondement de la citoyenneté selon son strict concept républicain; Je veux dire: nulle affiliation ou nulle identification à une communauté donnée, nulle appartenance préalable n’est requise pour être reconnu un acteur politique sur la scène publique de l’agir-ensemble. Acteur politique , au contraire, est celui qui s’exhausse au-dessus de ces communautés d’appartenance et tisse avec les autres acteurs un réseau inédit de relations qui donne naissance à une nouvelle « sociabilité », celle d’une communauté politique proprement dite cette fois puisque née de l’action concertée et nullement adossée à quelque appartenance antérieure , nullement suspendue à quelque allégeance communautariste, et donc nullement vouée à préserver l’identité d’une communauté quelconque « pg 90)
« Aucun autre titre n’est requis pour être citoyen que celui d’acteur parmi d’autres agissant de concert « (pg 118)
« La citoyenneté n’est pas un statut défini par des droits: c’est une manière d’exister sur un mode public et actif » (pg 127)
Parlant de l’apparition publique des « invisibles » ( sans papier,exclus, indésirables..) dans des manifestations:
« Cette apparition rappelle ainsi ce qu’Arendt avait souligné, à savoir que le nom de héros convient à tous ceux qui prennent part à la vie de la cité quelles que soient leurs origines ou leur absence de titre. Elle révèle que la seule condition requise pour être un acteur de la vie publique est d’être cet acteur, d’agir publiquement.Elle indique que la preuve de la citoyenneté est la citoyenneté elle-même quand celle-ci est comprise, à juste titre,non comme un statut ou un titre octroyé par l’ordre politique sur la base d’une identité préalable à l’action ( être de telle nationalité, parler telle langue,croire en tel dieu..)mais quand elle est comprise comme responsabilité effective, engagement dans la vie civique , exposition aux périls de l’espace public , bref actions avec d’autres. Il suffit qu’ils agissent politiquement, qu’ils apparaissent , qu’ils manifestent et se manifestent, pour acquérir le nom de citoyen qui leur revient de droit et qui leur est refusé de fait, le nom de héros, d’andres epiphaneis, d’hommes « pleinement manifestes qu’il est impossible de ne pas voir » (pg 131)
Dans un paragraphe intitulé » Que veut dire la citoyenneté comme un processus ? » action versus statut » E.Tassin explique que si l’on veut accéder à la pleine compréhension de la citoyenneté il faut » se démarquer de sa représentation convenue, la moins politique, à savoir sa détermination républicaine libérale ». Et de rappeler que selon cette conception, la citoyenneté est « un dispositif juridico-politique contractuel par lequel l’Etat est en droit d’attendre des individus un certain nombre de prestations civiques quant à leur conduite et une légitimation médiate, par un biais procédural, des décisions publiques; en échange de quoi il fournit une allocation de droit , assure la protection des libertés privées et publiques, et garantit, selon des proportions valables , un minimum de services sociaux. ainsi entendu la citoyenneté est un statut; Ce statut définit les régimes d’appartenance à une communauté ( généralement nationale) et d’allégeance ( à une puissance publique souveraine ayant autorité sur ladite communauté)Pour bénéficier du titre de citoyenneté et voir son allégeance formulée en termes de participation au « peuple souverain » ( la co-souveraineté se résumant au droit de vote le plus souvent), il est en général requis un certain nombre de conditions d’appartenance relevant du jus soli ou du jus sanguinis, et plus souvent de ce dernier. Par quoi le titre de citoyenneté est en réalité subordonnée au principe de nationalité dont il reste tributaire ( pg 155)
Or cette conception de la citoyenneté qui en fait un statut passe à côté de l’essentiel: le dèmos démocratique ne se définit pas par la seule possession de droits , qu’il peut exercer ou non , mais par l’exercice , l’agir politique : »C’est au contraire l’exercice, l’agir politique qui fait le citoyen. Ce n’est pas la possession d’un titre de citoyen qui autorise à, ou requiert l’action , c’est l’action qui lui confère des droits civiques et politiques… On ne naît pas citoyenne ou citoyen, on le devient , par ses actions et non par ses allégations » ( pg 156)
Il faut considérer la citoyenneté comme « un mode de l’agir ensemble. Elle désigne un acteur, elle est le nom d’un qui agit « (pg 155)
Nous arrêterons là les citations. On comprendra facilement que tout homme est un citoyen par le seul fait qu’il parle et agit,qu’il a cette capacité d’agir et de parler avec d’autres en vue du bien commun. Cette conception de la citoyenneté rappelle qu’un homme n’est vraiment homme que lorsqu’il fait partie de la communauté des citoyens, communauté qui n’est autre que l’ensemble de l’humanité.Lui dénier cette citoyenneté c’est le reléguer en dehors de l’humanité et, comme nous aurons l’occasion d’en reparler, lui nier le droit d’avoir des droits , en le faisant valoir avec d’autres, dans un agir collectif.
Se définir comme citoyen du monde , c’est donc considérer que tout être humain est, comme nous, l’être avec lequel on peut et doit discuter et agir au nom du bien commun, l’être avec lequel on peut faire valoir son droit à avoir des droits. l’être avec lequel il faut déterminer une cosmopolitique. Tout être humain a vocation , par le seul fait d’être humain, à agir avec tous les autres, pour définir et réaliser le bien commun.
