La femme, la vie, la liberté

De Leïla Mustapha et Marine de Tilly

Nous avons vu le film « 9 jours à Raqqa », Elisa (  SVE au CERS )et moi  en avant-première. Un film bouleversant sur une jeune femme kurde et syrienne Leïla Mustapha,  née à Rakka le 12 septembre 1988 ,et maire de Rakka, ancienne capitale de DAECH, ville qu’elle quittera  en janvier 2014 , pour échapper aux horreurs perpétrées dans la ville par les islamistes, et dans laquelle elle reviendra le 19 octobre 2017, 2 jours après la libération de la ville.

Le documentaire  a été réalisé par Xavier de Lauzanne, cinéaste  , avec la collaboration de Marine de Tilly , écrivaine et journaliste qui a accepté de l’accompagner dans la ville de Rakka pour rencontrer Leïla Mustapha.

« 9 jours  à Dakka » parce qu’au-delà, les vies auraient été en grand danger .

Pendant 9 jours , donc, Marine de Tilly rencontre à divers moments du jour ou de la nuit Leïla Mustapha. Le documentaire permet de faire connaissance avec cette jeune femme dont la vie est consacrée à la reconstruction de Raqqa et à la difficile tâche de créer une véritable démocratie, permettant à toutes les nationalités présentes de vivre ensemble.

Travail titanesque , hors-norme, incroyable et pourtant, oui, le film nous montre comment cette jeune femme  est parvenue à mettre en œuvre son programme de reconstruction de la ville et son programme politique.

Ce film est prolongé par l’écriture d’un livre , co-écrit- par Leïla Mustapha et Marine de Tilly .

Son titre «  La femme, la vie , le liberté »  (Jin, Jiyan, Azadi, » est le cri de ralliement des combattantes kurdes)

On ne résume pas un tel livre, bouleversant de bout en bout.On retrouve une actualité toujours très présente dans les mémoires, pour celle et ceux qui l’ont suivie. Le film nous a rappelé , à Elisa et moi,  les horreurs ( et heureusement , nous n’avons pas vu ce qu’a vu Leïla ) de l’enfer de Raqqa. Il faut simplement voir le film et lire le livre.

Mais, comme toujours, quand je lis de tels livres, je cherche à comprendre ce qui fait tenir debout des êtres humains qui ont vécu de telles horreurs et ont gardé intacte la foi qu’ils ont dans les hommes (  foi, dans le sens où ils ont gardé confiance en eux , conformément au sens étymologique). Il y a bien sûr une femme cultivée, qui a fait des études d’ingénierie ( ce pour quoi elle sera nommée maire).  Une femme qui a  vécu dans une famille aimante et pieuse.

Pieuse : il faut citer cette page où Leïla parle de sa foi :

«  Chaque jour , sous les menaces , chaque nuit sous les bombes , je ne pensais qu’à lui, Allah, le soleil ; les chacals avaient la force , le pouvoir et des armes, le peuple gémissait, les balles sifflaient , les corps souffraient ou périssaient , mais il nous restait la foi. Daesh ne l’avait pas . Pratiquer n’est pas croire . « L’âne peut aller à la Mecque , il n’en reviendra pas pèlerin » comme dit mon frère. Il ne suffit pas de faire les cinq prières par jour, il faut penser aux enfants , aux humains. Ces gens-là n’ont pas lu le Coran , ils le citent hors-contexte pour l’utiliser à leurs fins , mais comprennent-ils seulement ce qu’ils disent ? Ils  se croient maîtres de nos consciences  mais ils n ‘en ont pas. Quand ils gueulent en faisant la police à chaque carrefour , ils ressemblent à des veaux. S’ils avaient lu le Coran, ils ne verraient que  liberté et réconciliation là où ils ne cherchent que condamnations et punitions. S’ils avaient lu le Coran, ils ne sèmeraient pas le désordre sur la terre , ils ne prospéreraient pas sur nos cadavres , ils n’allumeraient pas le feu de la guerre. S’ils avaient  lu le Coran ils sauraient aussi que ce feu , Allah l’éteindrait. Non, nous ne serions pas condamnés pour leurs actes imbéciles. Daesh n’était qu’une éclipse comme il y en a eu tant dans l’histoire des hommes . Et aucune éclipse ne peut éradiquer la lumière du soleil..

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Mon pays était-il damné ? Ne connaîtrions-nous désormais plus que l’oppression , la guerre et l’arbitraire ? Et moi, que faisais-je, que devais-je faire, qu’étais-je capable de faire ? Où et quelle était l’âme véritable de l’islam ? J’aurais pu mourir de questions . Alors je relisais  le Coran , mon refuge , et je ne tremblais plus. Je le relisais et je comprenais que la paix , plus que l’absence de guerre et de violence , était un état d’esprit. Que l’homme qui vivait en harmonie avec Dieu, avec lui-même, avec son prochain et avec la nature , celui-là était un vrai croyant. Que l’islam était un humanisme, et le Coran une lumière pour l’atteindre. Que pour lutter contre une nature obscène, il fallait faire germer une nature raffinée. Que quand les mauvaises herbes pullulaient dans un jardin, rien ne servait de les arracher ou de les brûler, cat elles étaient envahissantes , elles infectaient les autres plantes , et parvenaient toujours à se propager, même isolées dans un coin du jardin. Que la réponse était de planter d’autres arbres , aux racines solides , sur le même terrain, qui absorberaient toute l’eau, capteraient toute la lumière et donneraient des fruits. Que la bonté était implacable . Et qu’il ne suffisait pas de la lire, il fallait la convertir dans le réel, quel qu’il fût, même brutal, injuste , difficile.( 67/68)

Mais aussi une femme qui va découvrir quelle tâche l’attend quand elle entend le cri de ralliement des femmes combattantes kurdes :

« « La femme, la vie, la liberté ». Depuis que je l’avais entendu , ce slogan ne quittait plus mon esprit. J’avais toujours pensé que la liberté était trop grande pour se retrouver enfermée dans des formules. Mais celle-ci était immense , elle regardait loin, large, profond. C’était le cri de ralliement de la brigade féminine qui avait rejoint au mois d’avril l’Union de protection du peuple ( YPJ). Le premier bataillon exclusivement féminin du monde était kurde . Quelle percée. « La femme, la vie, la liberté ». Quelle fierté . A situation exceptionnellement douloureuse , initiative exceptionnellement belle et bonne. Alors même que l’idée qu’une femme puisse p,nser et décider n’était pas vraiment acquise, ces jeunes filles allaient prouver qu’elles pouvaient et qu’elles savaient se battre. A elles-mêmes sans doute, au premier chef. A leurs frères, à leurs pères , à leurs amis. Aux kurdes , aux arabes , aux Syriens. Et aux femmes du monde entier . « Se battre pour l’humanité  est un grand honneur pour nous, avait posté une amie qui venait de s’engager sur sa page Facebook. Nous avons commencé cette révolution pour tout le monde, et nous continuerons. Jusqu’à ce que toutes les femmes soient libres., nous continuerons le combat. » Si elle avait été devant moi , je l’aurais serrée dans mes bras. »

Après avoir souligné qu’elle n’avait rien fait auparavant , contre le régime, pour la révolution , elle continue :

«  Je m’enorgueillissais du courage des YPJ. Je ne songeais pas à faire comme elles, je n’avais jamais été sensibles à la grammaire militaire , je ne suis pas une combattante . Je n’étais alors pas une plus une militante : pas de carte , d’aucun parti. J’étais juste une femme , comme la moitié de l’humanité. Musulmane comme la majorité de mon pays, et kurde , comme une minorité d’entre eux. Une femme kurde dans l’enfer de la Syrie. Même aux heures les plus odieuses du régime, assombries par celles plus noires encore de la tyrannie islamique , j’avais toujours été convaincue qu’il n’y avait pas que la dictature contre le califat, les hommes contre les femmes, la majorité contre les minorités, les Kurdes contre les Arabes . Je croyais que même dans la pierre la plus dure, il y avait des fissures et que c’était par elles que la lumière pouvait et devait passer. Je ne parle pas là d’espoir ou d’espérance , je parle de réalité. Une démocratie était possible, ici, chez moi , maintenant. Aveuglée par leur lumière noire , étranglée par la peur , voilée jusqu’au bout des ongles , je n’arrivais plus à voir ni à penser. Tout était pourtant limpide. Ne pas attendre la fin du chaos . Faire sur le terrain civil ce que les filles des YPJ accomplissaient bientôt sur le terrain militaire ( notamment à Kobané) Ne me préoccuper ni d’argent, ni de pouvoir, ni d’amour, ni même de survie mais seulement de liberté . Regarder loin et voir au-delà des horizons raisonnables. Les YPJ avaient raison , c’était la femme la clé de cette révolution. Comme elles il fallait s’engager pour les protéger , les libérer » p71/72

Et enfin une femme qui va faire une rencontre qui va changer sa vie ,, celle d’Omar Allouche . avocat , homme d’affaire, originaire de Kobané.

Il avait voulu rester civil, n’avait pas combattu , n’avait pas été un cadre du parti.

« Lui-même aimait se désigner comme un simple « compagnon de route » du mouvement kurde , qui se battait pour une Syrie libre , multiconfessionnelle et multicommunautaire. Son grand combat , c’était l’union de tous les syriens , l’entente , voire l’amitié arabo-kurde : autant dire une folie , autant dire le salut ».

Il l’écoute , ils discutent, ils s’entendent :

« Pour la première fois depuis des mois je n’étais plus seule . J’avais trouvé un ami , un guide , un éclaireur . Je voulais m’engager , bâtir , ne pas mourir, je ne savais pas comment , par où commencer , avec qui : Omar allait me le dire. Il n’en savait pas plus que moi et que nous tous mais il croyait que vivre ici , maintenant  avait un sens , et qu’il n’était ni trop tôt  no trop tard. Il croyait que cette vie n’irait pas sans grands pardons, petites amnésies et forte volonté. Il croyait que la réalité ne naissait que dans les rêves et que les rêves résistaient à la mort. Il croyait que l’aventure la plus prodigieuse était notre propre vie et que cette vie était à notre taille. Il croyait que chacun de nous pouvait changer les choses , que chaque action , même insignifiante , faite avec respect et intelligence , faisait la grandeur d’un homme. Et il croyait en moi, petite Leïla. » p.117, 118.119

Omar Allouche sera assassiné. Le 15 mars 2018 . Pleurs , hurlements de douleur, insultes contre les assassins. Elle écrit « Il avait fait de moi une femme forte , confiante et solide , il avait cru en moi et sans lui, peut-être plus fort encore qu’avec lui , j’allais poursuivre la lutte » p204

Mais malgré ces trois raisons, il reste une sorte de mystère. Celui d’une force capable de résister à tous les assauts, à toutes les peurs, à toutes les menaces , à toutes les difficultés. Force capable de résister à la mort qui menace , toujours présente .

Une foi inébranlable en Dieu, en l’homme : pas celle d’un Erdogan, appelé « le tueur », celui qui rêve d’éradiquer de la planète les kurdes, dont la politique est à vous faire  haïr l’Islam ! Son contraire exact.

Et le rêve qu’une démocratie est possible  « sans aucune frontière mentale , physique , ethnique ou religieuse » 209

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