Le cosmopolite dit ce que Diogène le cynique a exprimé d’une façon lapidaire . A quelqu’un qui lui demandait d’où il venait il répondit « Je suis citoyen du monde ». Pas citoyen de telle ou telle cité , citoyen du monde.
Il n’est pas le seul dans ces 6ème et 5ème siècles avant J- C, en Grèce , à affirmer que l’être humain ne se définit pas par son appartenance à une cité-état . ( voir l’excellent livre de P.Coulmas « Les citoyens du monde . Histoire du cosmopolitisme »). Ce refus de se définir par son appartenance politique , sa nationalité dirions-nous aujourd’hui , son appartenance à un Etat ,etc.. est le fil rouge du cosmopolitisme. L’être humain n’appartient à personne, n’appartient à aucune cité, à aucune nation. Ce qui fait sa grandeur. Il y a en l’être humain de quoi rapprocher les êtres humains et non pas seulement de quoi les opposer . Une « identité » commune serions-nous tentés de dire, si ce mot ne faisait pas courir le risque de traiter les hommes comme des choses, alors qu’ils ne le sont pas, que ce qu’ils sont se dérobe indéfiniment à qui veut le connaître , une identité qui est comme un puits sans fond . Le soi-même ( l’ipséïté) est ce qu’on ne connaît jamais, la fréquentation du monde et des autres ne cesse d’en révéler les frontières indécises , fluctuantes, incohérentes .
Etre cosmopolite c’est refuser toute assignation . C’est garder à l’égard de soi, en tant que membre d’une communauté cette distance qui permet à tout autre de trouver une place, d’exister .
Mais ça serait faire preuve d’infantilisme que de croire qu’il suffit de refuser toute assignation , toute identité déclarée pour que celles-ci disparaissent.
Ma carte d’identité dit que je suis masculin, que je suis né dans tel pays, telle ville, telle année , tel jour, et ma vie a laissé des traces diverses qui permettraient d’écrire une biographie .Faire comme si j’étais un pur esprit , qui se consacre à la spéculation permanente , à la lecture, aux arts, à la fréquentation des autres dans leurs œuvres , à la contemplation est du pur infantilisme.
Etre cosmopolite c’est refuser un monde où l’étranger est considéré comme un ennemi, où l’on est incapable de se considérer soi-même comme étranger pour les autres. L’étrangeté ( l’étrangèreté )désigne la singularité d’un être . L’étranger , cet autre moi qui pourrait être moi, que je ne suis pas, est une invitation à m’interroger sur moi-même, à prendre conscience de l’étranger que je suis pour moi-même, à questionner le sens de cette pluralité. Tuer l’autre est toujours se tuer soi.
Etre cosmopolite c’est travailler à faire que ce monde-là où l’étranger est mon semblable , soit possible , où la singularité soit respectée.
H.Arendt parlait de la pluralité et de la nécessité de la reconnaître comme donnée . La tentation permanente des Etats est de nier cette pluralité, de sommer les citoyens de marcher au pas, de les regrouper sous des drapeaux, de leur coller un uniforme .
Etre cosmopolite c’est être citoyen du monde c’est-à-dire être celui pour qui le monde ne peut résulter que de la possibilité pour chacun de participer avec tout autre à ce qu’il existe.
Etre citoyen du monde c’est reconnaître à tout autre cette même citoyenneté, c’est la vouloir .
Comme l’a si bien dit Etienne Tassin , le cosmopolitisme est une cosmopolitique, une politique qui s’oppose à tout ce qui empêche les étrangers que nous sommes toutes et tous les un-e-s pour les autres de faire exister un monde .
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