L’honneur de la Russie
(Toutes nos citations sont tirées des ouvrages suivants : « Tchétchénie, le déshonneur russe », « Douloureuse Russie Journal d’une femme en colère » « La Russie selon Poutine » « Qu’ai-je fait » ? et d’un livre d’hommages « Hommage à Anna Politovskaia »)
Dans cette Russie devenue sous Poutine un véritable cloaque , il y a, heureusement pour le bien de ce pays, quelques Russes qui refusent de le suivre dans son délire et dans ses comportements de petit malfrat et maffieux , refusent de garder le silence et de continuer de mener leur existence en préférant détourner le regard des horreurs commises en Ukraine et dans leur propre pays . Au moment où j’écris il se dit que plus de 80 % des russes suivent Poutine-ou le laissent faire- dans ce qui pourrait bien s’avérer une descente aux enfers pour la Russie et pas du tout ce combat homérique contre l’Occident décadent dont il prétend être le héraut ( sans rire …quand on sait qui est Poutine et la clique qui l’entoure, on peut se demander qui est le plus décadent !!!!). Cette infime minorité de russes qui résistent à ce déferlement de violence et à cette dégringolade morale court le risque de la prison ou , plus expéditif, de l’assassinat.
Mais ils sont l’honneur de ce malheureux pays !
Ce fut le cas d’Anna Politovskaia , journaliste , qui, comme tant d’autres , a payé de sa vie sa volonté de se tenir au plus près de la réalité .Elle a été assassinée le 7 octobre 2006 dans son immeuble . D’autres tentatives avaient échoué de peu ( erreur sur la personne, empoisonnement . .. l’empoisonnement grande spécialité russe comme les défenestrations ou… la vodka ). Comme très souvent en Russie , on ne trouve jamais les commanditaires . On a attribué cet assassinat à des tchétchènes pour le compte de Kadyrov . En réalité A.Politovskaia n’avait tout simplement pas sa place dans une Russie qui , sous Poutine , se resoviétisait à grand pas . Elle aimait la Russie mais la Russie de Poutine et Poutine ne l’aimaient pas .Elle faisait partie de ces gens qui gênent les hommes ( ou femmes ) avides de pouvoir , avides de le conserver et prêts à utiliser tous les moyens pour arriver à leurs fins , mais vraisemblablement aussi celles et ceux qui n’aiment pas qu’on leur disent leur vérité en face , qu’on dénonce leur lâcheté et leur petitesse . La mort d’A.Poliktovskaia n’a pas suscité de manifestations publiques dignes de son immense talent et de son courage. Poutine a été à cette occasion égal à lui-même, méprisant et cynique .
Pourquoi lire A.Politovskaia aujourd’hui ?
Disons-le : d’abord pour son courage exceptionnel et sa capacité à affronter le pire, pour comprendre et faire comprendre et connaître. Elle savait que , d’une certaine façon, son travail d’investigation, son intégrité , la condamnaient à une mort certaine. Ses ami-e-s , sa famille, toutes celles et tous ceux qui la connaissaient bien lui conseillaient d’éviter de se mettre en danger . Mais elle avait des exigences telles qu’elle ne pouvait tout simplement plus s’arrêter , à moins d’ avoir le sentiment de trahir les gens et les idées pour lesquels elle était prête à risquer la mort ( ou les tortures..). Il ne faut jamais oublier de telles personnes qui , au moment les plus tragiques de l’existence , nous convainquent que nous devons résister et nous donne l’exemple à suivre. Quel que soit le pays. Elles sont l’honneur de l’humanité.
Ensuite ,parce qu’elle fut une journaliste exemplaire et qu’elle a si bien fait son travail que la lire aujourd’hui, comme je l’ai fait il n’y a pas si longtemps, permet de comprendre les évènements les plus récents . La compréhension qu’elle nous propose est nourrie de la fréquentation des terrains de guerres , des contacts avec les familles, les mères , les combattants, beaucoup plus que par la lecture et des recherches en bibliothèques . Mais plus que cela même, sa manière de faire du journalisme était au service d’une volonté d’aider les gens , de faire évoluer positivement les choses , de modifier le monde tel qu’elle le voyait :
« Quand j’écris un article , c’est toujours la même pensée qui m’habite. Je cherche à aider des gens qui sont plus malheureux que moi. Le journalisme donne beaucoup de moyens pour cela. Ecrire un article n’est pas une fin en soi. Si on écrit sur une victime , le but n’est pas de faire pleurer ses proches , mais d’émouvoir les autorités. Si mon article n’entraîne aucune réaction chez les bureaucrates , je me dis que c’est ma faute , que je n’ai pas réussi à trouver les mots pour les atteindre suffisamment . J’ai toujours conçu mon travail de journaliste de cette façon « ( cité par A. Guillermes dans « Hommage à A .P »)
Elle ne fera jamais partie de ces journalistes qu’elle appelle des koviorny :
« Il existe un vieux mot russe , koviorny, un dérivé de kovior, « tapis ». Il a presque le même sens que le mot « clown » , mais il est plus précis. Le koviorny entrait sur la scène du cirque , le « tapis », pour amuser le public . En aucun cas, il ne devait rendre le public triste . S’il n’arrivait pas à faire rire ces messieurs venus au spectacle , le public le sifflait et le propriétaire du cirque le chassait aussitôt.
Presque tous les journalistes et les medias russes de la génération actuelle sont des koviorny. Tous ensemble ils forment un cirque forain dont l’objectif est de distraire le public. Quand ils écrivent sur des sujets sérieux, c’est pour vanter les mérites de la « verticale du pouvoir »…. La « verticale du pouvoir » est un système étatique dans lequel on a évincé des postes de direction tous ceux qui pouvaient penser autrement que leurs supérieurs. L’administration du Président Poutine, qui de fait gouverne le pays, a donné un nom à cet état de choses : NACHI, les « nôtres ». Les « nôtres » , ce sont ceux qui sont avec nous. Les autres , ceux qui ne sont avec nous, sont des ennemis. L’écrasante majorité des médias russes ne font en fait que décrire ce dualisme : à quel point « les nôtres » sont bons et à quel point les ennemis sont répugnants. En règle générale , les ennemis sont présentés comme des gens « vendus à l’Occident » :hommes politiques d’orientation libérale , défenseurs des droits de l’homme, « mauvais » démocrates ( l’image d’un « bon » démocrate est celle de Poutine). La presse et la télévision titrent en gros pour annoncer une « révélation » : tel « ennemi » est subventionnée par telle fondation occidentale »
Les journalistes sont , sous Poutine, redevenus des propagandistes , avec comme conséquence , « une époque de stagnation intellectuelle et morale du milieu professionnel » journalistique. Les journalistes reconnaissent qu’ils reçoivent directement de la présidence des informations sur « les ennemis » et la présidence leur dicte les sujets à traiter et ceux à ne pas évoquer.
Bien évidemment les journalistes sont très bien payés et ne sont pas pressés de se faire licencier en refusant de faire ce travail.
C’est ce qu’a toujours refusé A.Politovskaia, qui , écrit-elle, « abhorre l’idéologie qui nous gouverne : les « nôtres » versus « les « ennemis, et qui s’est « habituée à travailler comme une clandestine » , à ses risques et périls.
Elle termine son article :
« Alors qu’ai-je fait , vilaine ? J’ai seulement écrit ce dont j’ai été moi-même témoin. Rien de plus. Délibérément je ne m’étends pas sur les autres « agréments » du chemin que j’ai choisi. Un empoisonnement. Des arrestations. Des menaces dans des lettres et sur Internet. Des coups de fil anonymes promettant de me tuer. Je pense que ce n’est pas important .Ce qui compte, c’est que j’ai la chance de faire mon travail. Décrire la vie, recevoir tous les jours des visites à la rédaction, car les gens n’ont plus où aller avec leurs malheurs. Les autorités ne veulent rien entendre car les malheurs ne cadrent pas avec la conception idéologique du Kremlin »
(Quand elle a été assassinée A.P travaillait à Novaïa Gazeta)
Enfin il faut la lire pour comprendre la Russie d’aujourd’hui , la Russie la plus récente , dont elle avait tout compris et dont la dernière année 2022/2023 , nous montre qu’elle ne s’était pas trompée. L’échec de « l’opération spéciale » ( une formule presque identique avait déjà été utilisée pour la Tchétchénie ) démontre aisément que Poutine n’avait rien compris à l’évolution de l’Ukraine, aveuglé par sa haine et le mépris des ukrainiens, rendu stupide sans doute par son ego démesuré et son hubris ( ce petit délinquant se prend pour le sauveur de la Russie).
Elle ne s’était pas trompée sur Poutine ,et c’est par ce qu’elle en dit que l’on peut commencer à rendre compte de ses textes.
A.Politovskaia avait une réelle aversion pour Poutine , comme elle l’affirma dans le dernier chapitre de « La Russie selon Poutine ». Pourquoi cette aversion se demande-t-elle , elle qui n’est ni une adversaire ni une rivale politique de Poutine ? La réponse :
« Je le déteste parce qu’il n’aime pas le peuple. Il nous méprise, il ne nous voit que comme un moyen d’arriver à ses fins, d’étendre et de conserver son pouvoir . Il se croit donc en droit de faire de nous ce qu’il veut, de jouer avec nous et de nous manipuler, de nous détruire s’il le juge nécessaire . Pour lui nous ne sommes rien, tandis que lui, qui s’est fortuitement propulsé à la tête du pays, est aujourd’hui l’égal d’un tsar et même d’un dieu que nous devons adorer et craindre. »
Un peu plus loin elle écrit : « Je le déteste pour sa redoutable balourdise, pour son cynisme, pour sa xénophobie, pour ses mensonges, pour les gaz qu’il a utilisés lors du siège du Nord-Ost ( = le théâtre de Moscou) , pour le massacre des innocents qui a perduré tout le temps de son premier mandat présidentiel »
Poutine n’est pas arrivé au pouvoir parce qu’il aurait manifesté des compétences politiques exceptionnelles . Il a profité , comme d’autres , de la situation de déliquescence dans laquelle se trouvait la Russie après la chute du mur de Berlin :
« Je crois que ces gens-là n’étaient tout simplement pas prêts à diriger un pays. Ils ne doivent qu’au pur hasard de s’être retrouvés si haut. Peut-être sont-ils à présent heureux d’être présidents . Mais lorsque les fêtes et les banquets sont finis et qu’il faut passer à la politique réelle , ils se révèlent profondément incompétents . Et quand viennent les difficultés , loin d’admettre les erreurs , ils se mettent en quête d’ennemis, souvent imaginaires, à qui ils pourront faire porter la responsabilité de leurs propres échecs »
A.Politovskaia rappelle qui est Poutine et en quelques mots brosse de lui un portrait sans concession :
« V.Poutine , pur produit des services secrets , n’a pas réussi à dépasser ses origines et n’a jamais cessé de se conduire comme un lieutenant-colonel du tristement célèbre KGB. Aujourd’hui comme hier , sa principale préoccupation reste de régler ses comptes avec ses concitoyens épris de libertés, libertés qu’il s’obstine à piétiner comme il le faisait dans sa précédente carrière »
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« Son étroitesse d’esprit et son chauvinisme sont ceux d’un homme de son grade. Il a la personnalité terne d’un lieutenant-colonel , qui n’a jamais réussi à atteindre le rang de colonel ,les manières d’un homme des services secrets russes habitué à espionner ses collègues . La rancune n’est pas son moindre défaut : aucun de ses opposants politiques , pas un seul représentant d’un parti politique tant soit peu dissident , n’ont été conviés à sa cérémonie d’investiture »
Poutine n’a rien d’un génie capable de comprendre les désirs de ses concitoyens et de les utiliser :
« Si vous pensez que Poutine a génialement perçu les désirs de la foule et s’est appuyé dessus pour construire sa politique chauvine de l’Etat fort, vous vous trompez. Ce n’est pas un génie , il est issu du même moule que notre foule à la fois prosoviétique et post- soviétique , et c’est de là que viennent nos problèmes actuels. A proprement parler , la foule l’apprécie parce qu’il fait corps avec elle . Il est lui-même ce « saucisson à deux roubles vingt » qui considère sincèrement que l’époque soviétique était la meilleure et qu’elle devrait être restaurée. C’était l’époque où le KGB était à l’apogée de sa puissance , tout le monde en avait peur, sans savoir concrètement pourquoi. L’époque où l’on avait une vie double et une morale triple. L’époque où le chef avait un visage tournée vers l’Occident et un autre pour son peuple. L’époque où une puissante machine de lavage de cerveau tournait jour et nuit sous la direction du parti. L’époque où seuls les cyniques avaient une chance de succès »
Un homme médiocre , mais dont le cynisme a lentement produit des effets délétères sur la société russe qui sortait déjà très abîmée par le soviétisme. Poutine s’est révélé être non pas un chef d’état mais un parrain à la tête d’une mafia qui s’est accaparé le pouvoir et la richesse du pays . Un clan de prédateurs qui vit de la corruption , qui l’entretient , qui n’hésite pas à assassiner ou à emprisonner toutes celles ou tous ceux ceux qui pourraient mettre en péril leur pouvoir.
On ne peut éviter , pour se faire plaisir , de rappeler quelques mots de la description que donne A.Politovskaia d’un spectacle sensé être religieux et qui se révèlera du plus haut comique ( il faut lire ce récit où Poutine, Medvedev , Fradkov , premier ministre à l’époque et I.Loujkov , maire de Moscou, vont être les personnages comiques de cette « cérémonie »). Petit avant-goût :«Les trois hommes ( Poutine, Medvedev, Fradkov) se signèrent avec une maladresse drôlatique.. Medvedev se toucha le front puis porta sa main à son entrejambe. Le spectacle était réjouissant. Medvedev , à la suite de Poutine , serra la pince au patriarche comme à un camarade, au lieu de lui embrasser la main selon l’étiquette de l’Eglise orthodoxe. Le patriarche russe passa outre » A.Politovskaia rappellera dans un autre ouvrage combien Poutine était d’une maladresse amusante lorsqu’il se signait . Il est vrai qu’il n’avait jamais vraiment appris à l’école du KGB…. Depuis il s’est amélioré, comme on a pu le voir à la télévision russe …)
D’une formule qui résume le personnage et les conséquences qui en résultent pour ceux qui le fréquentent :
« Il profane tout ce qu’il touche » .
Et il produit des monstres :
« C’est une véritable tradition : la protection de Poutine transforme les gens en monstres..Le père Kadyrov était un homme horrible mais son fils , soutenu en tout par Poutine, est encore pire . ( et de citer deux autres que la fréquentation de Poutine a transformées, pour le pire).. ; plus on se rapproche du Kremlin et plus on se déshumanise ».
A.Politovskaia a bien compris que Poutine ne rêvait que de revenir à l’Union soviétique , et à se présenter comme le nouveau Staline. Seize ans après son assassinat on ne peut qu’être stupéfait de sa lucidité et de la connaissance profonde qu’elle avait de la société russe et de Poutine . Ce retour à Staline est ce que l’on constate aujourd’hui en Russie ainsi que la volonté de restaurer l’empire soviétique .
Mais Poutine ne serait pas là où il est si la société russe était autre qu’elle ne l’est. Poutine n’est pas seul responsable .Elle souligne avec force la responsabilité de la société russe .
Dans le livre qu’elle a consacré à l’élection de Poutine en 2004 –« Douloureuse Russie »- elle met en cause la passivité , la lâcheté de la société russe :
« Personne n’a bougé quand Poutine a établi sa fameuse « verticale du pouvoir » . il n’y a eu ni manifestations , ni protestation de masse , ni actions de désobéissance civile. Le peuple a tout « avalé » et il a consenti à vivre .. … sans démocratie .Un chiffre est particulièrement parlant à cet égard. D’après une enquête d’opinion de l’institut d’études sociologiques « Visiom-A » à la question : « Au cours des débats organisés à la télévision à l’occasion de la campagne électorale , les représentants de quels partis vous ont semblé les plus convaincants ? » , 12 % des russes ont répondu : « Les représentants de Russie unie ». Or ceux-ci avaient refusé de prendre part à quelque débat télévisé que ce soit, arguant que « leurs actions parlaient pour eux » !
Parlant des fraudes dans les bureaux électoraux , parfaitement connus du peuple elle écrit :
« Tout ce système ne peut exister que si le peuple se tait. C’est ce mutisme de la population qui est le phénomène principal de la vie politique russe d’aujourd’hui… Le peuple russe est apathique , persuadé que « la politique c’est sale » et que « le pouvoir fera toujours ce qu’il veut ». Les gens ne commencent à protester que lorsqu’ils sont personnellement victimes de l’arbitraire . Quand on leur prend leurs enfants par exemple. Mais si la même chose arrive à leurs voisins , ils ne bougent pas le petit doigt.. »
Elle enfonce le clou :
« Personnellement je suis assez choquée par tous ces gens qui ne commencent à réagir que lorsqu’ils sont frappés au porte-monnaie. Dans leur immense majorité , ces mêmes personnes qui grondent aujourd’hui n’ont jamais rien fait pour défendre les autres. Elle ne se sont pas élevées contre la guerre en Tchetchénie qui emporte chaque année des milliers d’innocents. Elles n’ont rien trouvé à redire à l’arrestation de Khodorkovski ( au contraire même , même la plus grande partie des Russes s’était alors réjouie de la mise au pas d’un « milliardaire juif ». …). Elles ont laissé passer des milliers de violations des droits les plus élémentaires sans daigner bouger le petit doigt.
Ce peuple qui s’estime élu, ce peuple qui se dit « porteur de la vraie foi chrétienne » , ce peuple qui se gargarise de la puissance de son Etat ( c’est sur toute cette phraséologie que repose la politique de Poutine ) démontre jour après jour qu’il n’a pas de quoi se vanter. En vérité c’est un peuple petit-bourgeois , lâche et mesquin qui ne voit pas plus loin que ses propres intérêts . Est-ce la mentalité d’un « grand peuple » ? »
A.Politovskaia aimait la Russie mais elle n’avait aucune complaisance à l’égard de cette Russie dont elle avait bien compris pourquoi les choses n’y changeaient pas. Nous , occidentaux , on explique cette passivité ou cette adhésion au poutinisme par la propagande . Elle n’ignore pas l’emprise de la propagande sur les esprits mais elle n’y voit pas là l’explication principale.
Le peuple russe consent ,accepte , supporte , refuse de savoir (quelques citations) :
« D’après de récents sondages, seuls 2% des Russes savent ce qui est écrit dans notre charte fondamentale, 45% des citoyens estiment que le plus important , c’est l’affirmation du droit au travail, 6% seulement ont déclaré que la liberté de parole était quelque chose d’essentiel pour eux »
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« Triste année que celle qui s’achève.les élections législatives se sont soldées par un triomphe de l’absolutisme poutinien. Mais la Russie n’en-at-elle pas assez de bâtir des empires ? L’empire est synonyme de répressions, et , en fin de compte , de stagnation. C’est bel et bien ce qui se profile. Mais qui chez nous est prêt à s’y opposer ? Nos concitoyens , épuisés par toutes les expériences politico-économiques dont ils ont fait l’objet , aspirent ardemment à vivre mieux.. mais ils ne sont guère désireux de se battre pour cela. Ils attendent tout « d’en haut ». Et quand « d’en haut » ce sont des répressions qui s’abattent sur eux, les russes les acceptent sans broncher . Une blague circule sur Internet : « Le soir tombe sur la Russie . Les nains ont des ombres immenses »
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Dans notre pays , plus rien ne dépend du peuple. Tout relève de la volonté de Poutine. Il incarne une sorte de supercentralisation du pouvoir tout en symbolisant la superfainéantise de la bureaucratie. Poutine a réanimé cette antique croyance qui date de l’époque des tsars : le maître viendra de la grande ville, il dira qui a tort et qui a raison . Et il faut bien admettre que cela plaît au peuple »
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« Notre société est malade. La majorité est atteinte d’une crise d’infantilisme. C’est pourquoi Poutine peut tout se permettre. C’est pourquoi Poutine est « possible » dans la Russie d’aujourd’hui »
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« La patience fantastique et inexplicable de notre peuple est e principal gage du succès de ce cauchemar nommé « Poutine ».
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« A la suite de la réélection de Poutine , en Ingouchie comme à Moscou, les médias ont été tout autant « nettoyés » que les structures politiques : par conséquent , la population ne peut pratiquement plus apprendre ce qui se passe en réalité . Le problème , c’est que la plupart des gens ne veulent pas se donner ce mal. Ils ne veulent rien savoir.. et ils ne savent rien ».
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« Cette attitude est typique des russes : ils préfèrent se cacher la tête dans le sable et ne surtout pas penser à l’avenir. Mais combien de temps pourront-ils encore se complaire dans cet aveuglement volontaire ? Quelle catastrophe faudra-t-il pour qu’ils regardent la réalité en face ? »
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« L’une des raisons de la profonde dépression dans laquelle le pays entier est plongé , c’est précisément ce cynisme sans bornes du pouvoir. Or les Russes sont ainsi faits qu’ils ne savent pas se battre contre le cynisme : au contraire , ils ont tendance à se renfermer , à se murer dans un silence maussade et à se laisser aller au fatalisme et à l’abattement »
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« Le Conseil de la fédération a approuvé la loi sur la suppression de l’élection des gouverneurs au suffrage universel. Le pays se tait . Cela signifie qu’il n’a que ce qu’il mérite.
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« C’est notre éternel problème : nous savons ce qu’il faut entreprendre mais nous n’avons pas le courage de le faire. Nous sommes apathiques et mous, et toute la vie, nous attendons qu’un miracle nous tombe du ciel. »
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« .. chez nous le « citoyen » n’est rien, c’est un grain de poussière, un grain de sable, une graine de pavot, il n’a même pas le droit d’être protégé par son propre gouvernement »
A propos de la société russe :
« De façon générale , il n’y a pas d’élan de compassion ni de protestation sociale que les autorités soient obligées de prendre en compte. Bien au contraire la société pervertie réclame de nouveau du confort et du calme au prix de la vie d’autrui »
La Russie , « pays éternellement occupé à trouver des ennemis intérieurs responsable de tous ses malheurs »
« La Russie est ainsi faite : chez nous tout dépend du tsar , du chef , du sécrétaire général, de l’autorité suprême »
« .. en Russie les lois n’ont jamais pesé très lourd »
« Tel est notre pays : l’esclavage est notre fatalité. Mais aussi notre fétiche. Nous aimons être des esclaves. « La majorité écrasante » rêve de cela comme de la forme la plus commode de l’existence »
Les analyses d’A.Politovskaia sont confirmées par ce que l’on a pu observer lors de cette première année de guerre contre l’Ukraine. Qu’en est-il exactement de ce peuple russe dont les sondages disent qu’il soutient majoritairement « l’opération spéciale » Poutine ? Conséquences du lavage de cerveau pratiqué quotidiennement par la télévision russe ? Refus d’en savoir plus ? Refus d’être confronté à la réalité ? Indifférence ? …..( Lire le livre d’Anne Nivat « Un continent derrière Poutine ? » qui apporte des témoignages fort intéressants pour saisir la complexité de la situation).
Les russes n’ont-ils rien appris des guerres en Tchétchénie , d’une violence inouïe ( j’avoue avoir eu parfois quelques difficultés à lire les cruautés de toute nature qui ont eu lieu dans ce pays martyr ) ?
La guerre contre l’Ukraine aurait été de même nature si les Etats-Unis et l’Union européenne n’avaient pas réussi à s’entendre pour aider l’Ukraine à résister .
Les ouvrages d’A .Politovskaia sont une vraie radiographie de la société russe : justice, douma, exercice du pouvoir, partis politiques, vie politique, FSB, histoire etc.. c’est la société russe qui prend corps au fil des pages. Pour avoir couvert les guerres en Tchétchénie , elle était devenue une très bonne spécialiste de l’armée russe. De l’avoir lue je n’ai pas été surpris une seule fois de tout ce que j’ai pu apprendre des agissements de cette armée en Ukraine. Cette armée n’a pas changé pendant les 20 dernières années. Sans doute même s’est-elle dégradée à la suite de ces sales guerres , dans la mesure où les exactions commises n’ont été que très rarement punies. La corruption, l’alcoolisme, l’indiscipline mais surtout la violence structurelle de cette armée en sont les tares principales .
Ce que l’on découvre c’est que le soldat n’est rien , que les officiers peuvent les traiter comme des esclaves en toute impunité. C’est une armée qui n’a aucun compte à rendre au pouvoir civil. Dans cette armée la mortalité des jeunes soldats pour cause de mauvais traitement est importante . A.Politovskaia en rapporte certaines qui sont l’expression de l’inhumanité qui règne dans cette armée, dans les rapports entre les officiers et les soldats et les soldats eux-mêmes. Elle a pu voir les exactions commises par cette armée russe et a manqué elle-même en être victime . Viols, exécutions sommaires, tortures ( on scalpe, on coupe le nez etc…), tout ce qui s’est reproduit en Ukraine , commises dans une impunité quasi-totale.
Parmi les pratiques inhumaines il y a les zatchistka :
« A l’origine la zatchistka n’était qu’un contrôle de passeports dans les villes et les villages tchétchènes..
La pays entendit ce mot pour la première fois à la télévision dans la bouche d’un général interviewé sur l’opération militaire en Tchétchénie : « Nous avons réalisé une zatchistka à Alkhan – Yourt au cours de laquelle plusieurs bandits ont été arrêtés ». Mais bientôt un flot ininterrompu de téléviseurs , de VHS , de tapis et de bijoux en or afflua de Tchétchénie vers les familles de militaires.. Le pays comprit que le but principal des atchistka n’était pas de contrôler les passeports mais d’amasser un butin de guerre. La plupart de nos concitoyens perçurent ce triste phénomène comme une chose normale . A leurs yeux cela faisait partie de la punition collective infligée aux Tchétchènes pour leurs péchés . Ainsi le mot zatchistka entra-t-il dans le lexique ordinaire , pour dire un « vol légitime » ou un « pogrom motivé »
« Pogrom motivé » : les livres d’AP sont remplis d’exemples de ces pogroms d’une violence inouïe . Commis en toute impunité .
Permettons-nous un rapprochement avec ce que l’on a pu apprendre lors des premières semaines de la guerre en Ukraine : Boutcha…. . Mêmes pratiques , viols , vol( , frigo etc.. emportés en Russie …) En Russie la tradition existe même dans ce domaine !
Elle écrit :
« Les sociologues font le constat que la guerre provoque une dégénérescence . Mais cela va trop vite. C’est un blietzkrieg de la dégénérescence . Plus la guerre dure , avec ce slogan inqualifiable qui dit que « tout est permis » , et plus la dégradation de milliers de nouveaux conscrits est rapide. J’ai souvent dû reculer devant l’horreur : les soldats n’étaient pas capables d’expliquer leurs actes ! Lorsqu’ils essaient , ils se contentent de témoigner , la plupart du temps, d’une déchéance due à une guerre dont la logique a depuis longtemps été oubliée par ceux-là mêmes qui l’ont déclenchée. Cette guerre ( définie par l’expression fétiche de Poutine , « opération antiterroriste » , qui énerve tout le monde et fait plutôt sourire ceux qui se trouvent dan le bourbier tchétchène) n’a pas d’objectif clairs. Dans ce conflit l’unique objectif de tout un chacun est de survivre par tous les moyens, c’est pourquoi tous sont moralement faibles devant une tuerie inique , incontrôlée, où l’arbitraire tient lieu de loi. Sans réfléchir ni se soucier d’une punition, les soldats appliquent à la population civile les méthodes les plus violentes et les plus barbares. Une guerre pareille efface entièrement dans les cœurs de ces hommes jeunes et facilement influençables toute trace de ce qu’ils auraient pu lire jadis dans de bons livres et voir dans de bons films. En revanche , après une telle « orgie » de cruauté gratuite , ces soldats conserveront , ancrées en eux , une incapacité totale à se mettre à la place de l’autre , une indifférence froide aux souffrances d’autrui et une haine tenace »
Ajoutons que rien n’est prévu pour le retour de ce soldats devenus de véritables assassins.
Ce texte parle de la Tchétchénie . Il pourrait avoir été écrit pour la guerre en Ukraine.
Il faut lire A.Politovskaia pour comprendre la Russie de la guerre en Ukraine. La lire pour comprendre ce que l’on entend à la télévision russe . La lire pour comprendre que la Russie d’aujourd’hui est pire sans doute que celle d’il y a 20 ans parce que tous ces soldats qui ont fait les guerres en Tchétchénie , qui ont commis les pires atrocités, ont violé, torturé , volé, détruit , sont des membres de cette société .Pour comprendre comment Prigogine ,ce criminel, peut construire à Saint-Pétersbourg une tour avec des bureaux très modernes pour traiter ses affaires .Pour comprendre que les milices composées de repris de justice , de criminels de toute nature sont une bonne partie des forces « militaires » de l’armée de Poutine.
La Russie de Poutine n’est plus une société et n’est plus un Etat .
Poutine n’est pas un homme politique .
On comprend que la seule voie de « salut » pour la Russie est celle que l’on a imposée à l’Allemagne nazie : après la défaite un procès et la nécessité pour les allemands de se regarder en face et de s’interroger sur leurs actes .
Pour qui souhaite que l’Histoire ne se répète pas indéfiniment , il faut que la Justice passe et qu’elle ne soit pas la Justice du plus fort mais la justice au service de l’humanité .
Il faut donc suivre et défendre l’initiative d’un tribunal pour juger Poutine et toutes celles et tous ceux qui ont participé à son entreprise criminelle.
Il faut que le peuple russe soit contraint de s’interroger sur sa passivité , son adhésion à la politique de Poutine.
Et il faut tout faire pour que l’Ukraine gagne cette guerre.
On ne peut qu’être désolé qu’en Europe certains hésitent à condamner les agissements de Poutine ( parce qu’ils détestent les Etats-Unis…)ou prennent ouvertement parti pour Poutine. On éprouve une sorte d’écoeurement d’apprendre que des hommes politiques et des artistes ont été -ou sont toujours – insensibles au fait que Poutine est un maffieux, un assassin, un corrompu , et profitent de ses largesses ou font son apologie.
Tout cela rappelle une histoire pas si lointaine …
Je ne remercierai jamais assez A.Politovskaia d’avoir eu le courage d’affronter le pire pour défendre l’humanité en l’homme. Et d’avoir pris le temps d’écrire ces livres qui resteront parmi les témoignages les plus importants sur un moment de l’histoire de la Russie.
Elle est pour moi la preuve qu’être russe n’est pas synonyme d’être un complice de Poutine voire plus.
Elle sauve l’honneur de la Russie.
