Pourquoi être cosmopolite?

Dans un article intitulé  » La communauté européenne des valeurs existe-t-elle (encore)? »la philosophe hongroise Agnès Heller écrit:

« Il n’y a pas de valeurs européennes communes, étant donné que la liberté est  un   fondement qui ne fonde pas. Les Européens contemporains doivent choisir parmi ces différentes valeurs européennes et assumer la responsabilité de leur choix »

Et un peu plus loin:

« Les phrases fondatrices sont par définition elles-mêmes non fondées. Mais la phrase fondatrice de la modernité européenne ( tous les hommes naissent libres)appelle une fondation. Car , comme nous le savons bien , la liberté est une valeur qui ne fonde pas. les hommes et les femmes doivent créer eux-mêmes les fondements »

Je cite ces phrases pour ce qu’elles nous disent de la liberté:

« la liberté est un fondement qui ne fonde pas », « la liberté est une valeur qui ne fonde pas  »

Je comprends ces phrases de la façon suivante : la liberté ne fonde rien parce qu’elle est puissance , qu’elle nous a montré qu’elle pouvait le pire comme le meilleur, et que nous ne savons pas encore de tout ce dont elle   est capable. La puissance est potentialités et personne n’est en mesure de nous dire quelles sont ces potentialités.

Cela signifie que nous perdons notre temps à vouloir fonder une éthique. La raison d’être de l’éthique est précisément notre liberté , notre puissance , qui nous interpelle :choisis ce que tu veux  me faire faire, ce que tu veux faire de moi! Je peux, mais que dois-je faire?

Mais si nous ne pouvons pas fonder, nous pouvons donner les raisons de nos choix, qui valent ce qu’elles valent , c’est-à-dire qui ne sont nullement contraignantes. Nos choix ne peuvent qu’être des propositions qui esquissent un futur, pour celui qui les a faits, préférable à un autre ou à d’autres.

Alors pourquoi le cosmopolitisme ?

Parce que choisir le cosmopolitisme c’est choisir l’humanité , dans les deux sens du terme : l’humanité   comme ensemble de tous les êtres humains, et l’humanité comme ce qui distingue l’être humain de tous les animaux.

L’humanité de l’être humain est cette puissance ( liberté) qui s’exprime dans les cultures et les civilisations, dans le monde en tant qu’il est la planète ( pas seulement) transformée par les humains.

Choisir l’humanité n’est donc rien d’abstrait puisque cette liberté n’est rien d’autre que la puissance qui se trouve en chaque être humain, que sa vie manifeste. Rien d’abstrait  certes mais quelque chose de menaçant : la liberté de l’Autre est toujours une menace pour ma propre liberté , comme la mienne pour celle de l’Autre. Elle est toujours une épreuve pour les uns et les autres. La reconnaître  c’est se lancer dans une aventure pleine de risques , c’est devoir être disponible pour le dialogue , la remise en cause, la discussion, la négociation, le compromis , ou alors ce sera la guerre.

Choisir le cosmopolitisme , c’est choisir cette aventure , dont l’issue possible est un monde commun, parce qu’il aura été construit en commun. Insistons bien : « construit en commun ». Le commun ne préexiste pas à cette construction. Et cette dernière ne sera possible que parce que chacun aura accepté de reconnaître la liberté de l’Autre, sa puissance.

Le monde dans lequel nous vivons souffre de n’avoir pas été construit en commun. Pour le dire simplement : chacun a construit  sa maison, son monde , sans se préoccuper de ce  que les autres en pensaient ou de ce qui en résultait pour eux. L’Histoire est ainsi un torrent de violences. Le défaut de cette maison  construite en solitaire , de façon égoïste , n’est pas d’être laide , trop grande etc ( elle peut d’ailleurs être très belle) , mais d’avoir été construite seul , en utilisant des moyens souvent contestables.

Le partage de la planète n’a pas été  le résultat d’une discussion commune, d’un accord, il a été une appropriation en général violente. Pour que l’objet d’une appropriation devienne une propriété , il faut qu’il y ait reconnaissance.

Le monde dans lequel nous vivons n’est pas un monde commun. Il ne pourra le devenir  qu’à condition de la reconnaissance par tous de la liberté de chacun et  de discussions, de dialogues, de compromis  etc..

Ce monde commun nous ne pouvons savoir quel visage il aura , mais s’il doit un jour exister , il signifiera la réconciliation de l’humanité avec elle-même , comme l’a si bien dit F.Wolff.

Aujourd’hui nous vivons une période  de l’Histoire difficile et dangereuse. Des choix sont faits, des volontés se manifestent qui détruisent ou réduisent dangereusement les possibilités  de construire un monde commun. L’égoïsme est de mise. Il n’est question que de souveraineté à retrouver et à affirmer , à imposer à l’Autre. La solidarité , si nécessaire, passe au second plan. La puissance des uns cherche à éliminer la puissance des autres. Il n’est question de reconnaissance , ni entre Etats  ni à l’intérieur des Etats.

Un cosmopolite ne peut que déplorer pareille situation;

Nous reviendrons  sur ce qu’implique une cosmopolitique . Nous voulions simplement en indiquer le sens et la condition.