Citoyenneté cosmopolite 2
La manière dont j’ai fini par comprendre « ma » citoyenneté cosmopolite , ou dont j’ai fini par me comprendre comme le citoyen cosmopolite que je me propose d’être, doit beaucoup à la lecture d’Hannah Arendt et de celles d’Etienne Tassin , dont les œuvres sont nourries de la lecture de celles d’Hannah Arendt .
Le cosmopolitisme passe facilement pour une rêverie sympathique , voire complètement loufoque pour d’autres parce qu’il semble faire fi de la réalité politique (et humaine), pour beaucoup , violente par nature : les Etats trouveraient leur raison d’être , à l’intérieur, dans le maintien de l’ordre et vis-à-vis de l’extérieur , dans la nécessité de se défendre contre les agressions toujours possibles d’autres Etats. De là ces deux institutions, la police et l’armée . Croire que l’on pourrait sortir de cette situation d’une humanité toujours en guerre avec elle-même serait une illusion, et pour beaucoup , une illusion dangereuse pour l’existence des individus et des Etats Il n’y aurait aucune possibilité réelle de sortir du national et de l’étatique , et d’une conception du national et de l’étatique qui les lie intimement .Le citoyen cosmopolite serait à mettre à côté des pacifistes et des humanistes béats, dans le meilleur des cas des utopistes. Pour quelques-uns ils seraient des traîtres à leur nation ou à leur patrie ( comme on sait , c’est l’une des raisons, pour certains, d’être antisémites)
On perd beaucoup de temps à lutter contre ces idées qui, même si elles peuvent se revendiquer de noms célèbres , en particulier dans la philosophie, n’ont pas plus de fondements que d’autres et ne peuvent pas même se revendiquer de l’Histoire , dans laquelle on trouvera toujours tout ce que l’on veut , selon les besoins. Il en est de ces questions comme de celle de la nature humaine dont personne n’a jamais réussi à convaincre quiconque que l’homme était bon ou méchant par nature.
Le réaliste que je prétends être ne spécule pas sur la nature humaine. Il prend acte que les êtres humains sont capables du pire comme du meilleur ( on ne m’en voudra pas de ce truisme) , et souhaite travailler à ce qu’il soit plus souvent tourner vers le meilleur que le pire. Le cosmopolitisme me semble être la voie réaliste la meilleure et la plus appropriée pour atteindre cet objectif. Il me reste à montrer pourquoi.
Tout le monde sait que cosmopolite signifie citoyen du monde . Or les difficultés pour un individu qui souhaite vraiment comprendre comment il pourrait être réellement un citoyen du monde commence avec ce mot :le citoyen l’est d’un Etat ( dans polite il y a polis , la Cite-Etat ) et le cosmos n’est pas un Etat . D’où cette idée que « cosmopolite » est une métaphore . Sans doute ne l’était-elle pas pour les cosmopolites de l’Antiquité qui se pensaient comme habitant du cosmos, le cosmos , réalité divine .
Nous n’en sommes plus là. Kant déjà avait compris que la Cité cosmopolite n’existait pas réellement.
Alors ?
Alors il m’a semblé qu’il fallait reprendre la notion de citoyenneté . La citoyenneté est habituellement considérée comme dépendant de la nationalité. On est citoyen français , allemand etc. . Or cette dépendance n’est pas justifiée . Est citoyen celui qui a le droit , avec tous les autres citoyens , de prendre les décisions qui concernent l’existence de la cité . Le citoyen se distingue du « sujet » en tant qu’individu soumis au pouvoir d’un autre. On est le sujet du roi, et les révolutionnaires français ont remis en honneur ce mot-citoyen- après avoir coupé la tête au roi.L’octroi de la citoyenneté n’est pas l’octroi de la nationalité et n’a pas besoin de la nationalité.Elle est le fait que des individus se reconnaissent mutuellement le droit de prendre ensemble les décisions qui concernent le groupe, la collectivité qu’ils forment.
C’est cette idée qu’Etienne Tassin développe dans ses ouvrages , à la suite d’Hannah Arendt. Le citoyen est l’être humain qui agit avec d’autres et qui, par cet agir concerté fait exister un monde commun qui l’est pour être public .( on trouvera des développements -explications dans la présentation que je ferai des livres d’Etienne Tassin). Tout homme, par le fait qu’il peut agir et parler est citoyen dès lors qu’il se tourne vers d’autres pour agir et parler avec d’autres . Le citoyen est l’homme lui-même , par le fait qu’il agit.( on verra plus précisément le sens de ce mot chez Hannah Arendt/ Etienne Tassin)
J’exprimerai cela en disant qu’en me définissant comme citoyen je reconnais tous les êtres humains comme citoyens et , dès lors, je forme avec tous une communauté de citoyens , indépendamment des nationalités, des appartenances .
Je ne disparais pas comme citoyen français pour autant. Mais mon appartenance – ma nationalité – ne définissant pas ma citoyenneté cette dernière rend possible la formation d’une communauté fondée sur le même droit , celui de pouvoir prendre les décisions qui concernent la totalité de la communauté. Que cette communauté soit difficile à réaliser ne remet pas en cause le sens même de la citoyenneté.
Parlons de ce monde, qui fait partie de la définition. C’est un mot plurivoque. Il y a beaucoup de monde= beaucoup de gens . Le monde , en ce sens , ce sont les gens .Mais le monde c’est aussi ce tout ordonné , le cosmos des grecs « Venir au monde » ( naître) c’est changer de lieu pourrait-on dire, entrer dans le monde des êtres humains qui habitent la Terre. Le monde est la Terre habitée , transformée par les êtres humains, leurs cultures , monde physique et mental, le monde perçu , pensé, dit , symbolisé, cette réalité indissociable de chaque conscience.Par définition subjectif , si l’on entend par là relatif à un sujet, qui le perçoit ou le pense. Le monde renvoie donc à ce qu’une conscience peut percevoir et penser et pour chaque conscience il y a un monde . L’unité du monde ne peut qu’être : je ne suis jamais certain que mon voisin vit dans le même monde que moi. Et c’est dès que nous parlerons , ou que nous aurons à prendre des décisions ensemble pour , par exemple , aménager cet espace où nous souhaitons vivre ensemble que nous verrons que nous portons en nous une « vision du monde », monde perçu, imaginé, expérimenté qui ne recoupe pas celle que mon voisin porte en lui .
On pourrait illustrer par d’innombrables exemples cette pluralité des « visions », qu’il faut tenter d’accorder si l’on veut vivre-ensemble.Et l’on ne peut s’accorder qu’à condition d’en parler, d’en débattre, de trouver des accords , toujours susceptibles d’être remis en cause.
Etre citoyen du monde ne peut s’entendre dans le sens où le monde est donné à tous de la même manière, mais dans le sens où le monde est à « faire », qu’il résulte des citoyens eux-mêmes , dans la mesure où ils sont capables d’agir de concert.
Dès lors la notion de monde renvoie à l’activité des acteurs, c’est-à-dire des citoyens. Et un monde ne peut trouver son unité que dans la reconnaissance du droit qu’a chacun d’agir avec les autres pour faire exister un monde qui ne sera toujours que le monde des personnes qui auront agi ensemble.
Il en résulte que le cosmopolitisme implique une cosmopolitique , une politique qui , par la reconnaissance de la citoyenneté de tous, peut faire exister un monde commun. Chaque fois que des êtres humains se rassemblent pour agir et parler, parler et agir, « un monde » peut naître.
C’est ainsi que les œuvres d’Hannah Arendt , dans les lectures qu’en a faites Etienne Tassin, m’ont permis de comprendre mon cosmopolitisme ou de me comprendre comme cosmopolite.
(On trouvera dans les présentations des ouvrages d’Etienne Tassin , les développements qui permettent de comprendre le richesse de cette compréhension du cosmopolitisme, si bien en phase avec le monde
